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2 octobre 2017 à 17:12

L'Entretien du Lundi Philippe Bana FFHB

Mémé a envoyé l'équipe de France dans une nouvelle ère

Au delà de sa fonction de Directeur Technique National, Philippe Bana est l’invité de l’Entretien du Lundi pour évoquer les disparitions d’Alain Mouchel et de Philippe Médard.

L’émotion suscitée par la disparation de Philippe Médard est immense…
Il y a du vide chez tous les Handballeurs. Nous avons tous l’impression d’avoir perdu un frère, un ami, un proche qui nous manque. Philippe Médard appartient au Hall of Fame de notre sport.

En quoi incarnait-il l’esprit des Bronzés, ce savant mélange de talent et de folie ?

Mémé était l’une des âmes de ce groupe extraordinaire. Dans ces moments préhistoriques du Handball, pour démarrer des performances hors normes, il fallait des hommes hors normes, loin des bons petits élèves. Il fallait des dévoreurs de vie, capables de se hisser beaucoup plus haut que ce que le Hand français valait, de nous mettre sur orbite. Leur coach, Daniel Costantini, était comme ça. Mémé aussi.

Vous étiez aussi gardien de but et vous avez coaché avec Marseille face à lui et son club de Gagny. Avez-vous des souvenirs particuliers ?
Il choisissait les moments où tuer un match et il avait compris, bien avant les autres, l’importance du money-time. Il pouvait être « absent » pendant 59’ et réaliser les 2 parades nécessaires à la victoire. Il aimait aussi la vie, la dévorer. À l’époque, Gagny c’était un peu l’équipe de France, donc il n’avait pas besoin de beaucoup s’employer. Je pense qu’on se souvient tous surtout du France - Espagne des J.O. de Barcelone (seulement 16 buts encaissés en une heure, impensable...) ce match où il a envoyé l’équipe de France dans une nouvelle ère pour les 20 ans qui ont suivi. Si l’on cherche le moment qui a changé le Hand français de planète, c’est lui qui l’a animé.

Quelle trace a t’il laissé dans la formation spécifique des gardiens ? Peut-on dire qu’il a ouvert la voie aux Martini, Delattre, Gaudin, Omeyer… ?
Oui il a laissé une trace sur la vitesse de réaction qui était phénoménale, les parades explosives, le bon timing. Il est le grand frère et c’est d’autant plus méritoire qu’il n’existait pas d’école française de gardiens de but. Les modèles de l’époque étaient les Yougoslaves, plus académiques, comme Mirko Basic… Mémé était plus instinctif qu’eux, plus adaptatif, il avait créé son style à lui. Il a aussi amené la folie du gardien de but dans le duel et cette idée de chambrer l’adversaire, de célébrer publiquement un arrêt déterminant devant le public. Mémé était un ogre sur le terrain…

En milieu de semaine, c’est Alain Mouchel, un grand ancien de la Maison fédérale, qui disparaissait aussi… vous l’avez bien connu puisque vous étiez son adjoint à la DTN avant de lui succéder…
Avec Daniel Costantini, ils sont mes 2 tuteurs. Alain m’a fait venir au sortir de l’OM Vitrolles et de mon passage à l’école de commerce pour « moderniser », disait-il. Alain était un maître manager, un visionnaire qui sentait que le Handball était en train de changer et qui anticipait. C’était aussi un homme très solitaire : il était brillant, un vrai joueur d’échecs. Il aurait pu jouer à Game of Thrones tant il était fin stratège ; il aurait toujours gagné à la fin… Il a positionné la Direction Technique Nationale comme le cœur du réacteur du Handball frnaçais. Il est venu me voir  un jour en 1999, sans en avoir parlé à personne. Il m’a juste dit « c’est ton tour gars », et il est parti sans jamais se retourner. Je l’ai appelé et sollicité 100 fois pour qu’il reste dans le milieu. À chaque fois, il m’a répondu « continuez l’œuvre, vous n’avez plus besoin de moi. »
 
Après avoir intégré le cabinet ministériel de Marie-Georges Buffet, Alain Mouchel avait  aussi occupé le prestigieux poste de directeur de la P.O. à l’Insep (Préparation Olympique) de 2001 à 2004. Le travail et le parcours d’Alain sont-ils une source d’inspiration pour mener à bien vos missions ?
Il a été plus à l’aise à la P.O. qu’au cabinet de la ministre. Alain n’aimait pas la com, la lumière, l’obligation de paraître. Souvent, pendant un match de l’équipe de France, on le cherchait partout. Il s’asseyait tout en haut de la tribune là ou on ne le voyait pas, au milieu du public, il pouvait regarder sans être dans la lumière. Le côté politique l’a agacé ; son intelligence universitaire ne s’habituait pas aux coulisses de pouvoirs. À la P.O., il a été précurseur du modèle de la super P.O. qu’il faut re-créer aujourd’hui. Il organisait des matinées olympiques où nous pouvions échanger entre DTN, entraîneurs et entreprises. Il a aussi fait venir des partenaires extérieurs pour financer la haute performance. Je le revois encore aux J.O. d’Athènes, où il s’était fait installer une télé dans le hall du staff olympique. Toute la journée, il suivait toutes les compétitions, appelait les DTN, les entraîneurs pour débriefer, plutôt que d’être au VIP à caqueter…
 
Sa disparition intervient au moment où Claude Onesta est appelé à une mission sur les J.O. Que vous inspire cette confiance témoignée au Handball français, cette fois-ci au travers de Claude Onesta ?
Elle est méritée pour lui et pour le Hand. Franchement, en 30 ans, nous avons appris beaucoup de choses sur la performance… Nous avons montré des choses sur le suivi médical, la préparation physique, l’évolution du rôle des athlètes, un changement radical dans l’encadrement des athlètes… Souvent je dis à Claude ou à Joël Delplanque : « il y a tellement de choses que l’on sait et que personne ne nous demandera jamais ! »  Il s’agit d’une opportunité de donner au sport français ce que nous avons appris. Au début, les sports individuels étaient les fers de lance de l’olympisme. À partir de 1992, nous avons un peu dérangé avec nos codes, nos groupes. Depuis, nous incarnons   l’olympisme. Nous allons aider Claude qui va évoluer dans un univers habitué à dire non à toute innovation, afin qu’il  puisse vendre les bons contenus du futur, les bonnes structures dans un sport français qui la joue un peu « perso », chacun dans son coin.

Cette mission va t’elle éloigner Claude de l’encadrement de l’équipe de France masculine ?
Oui et c’était déjà convenu avant. Claude a intelligemment fait le deuil du père, qui voit ses enfants ne plus avoir besoin de lui et faire leur chemin. C’était inéluctable car ainsi va la vie. En revanche, c’est une mission de 3 mois, et il sait qu’en fonction de ce qu’il y trouvera, il est toujours chez lui au Hand. Claude est toujours en poste à la fédération et il continuera d’honorer tous les rendez-vous programmés, notamment avec les entreprises.

La LNH va bientôt se prononcer dans le dossier des paris dits suspects en particulier sur une éventuelle suspension des frères Karabatic. Est-ce une source d’inquiétude au moment où l’équipe de France doit préparer l’Euro de janvier 2018 ?
Non, c’est plutôt un passage obligé que Nikola et Luka ont délibérément choisi pour finir cette histoire qui les épuise. Il fallait sans doute mettre un terme à cette affaire et ils l’ont bien choisi. On fera tout ce qu’il faut faire en fonction des décisions de la LNH. Il faut désormais payer honorablement le prix des décisions judiciaires et personnelles. Nous sommes avec eux sur ce chemin.

Quelle était la nature de la cérémonie qui s’est tenue samedi à Roissy, à l’hôtel de l’équipe de France féminine ?
En fait, il  y a eu deux cérémonies. Celle de Roissy visait à récompenser les cadres du staff olympique qui n’ont pas droit aux médailles aux J.O. Avec le président, nous avons commandé des médailles qui ont été remises dans l’intimité aux encadrants de l’équipe de France féminine. L’autre a eu lieu en début de semaine avec les coaches des équipes jeunes en lice cet été : Eric Baradat, Laurent Puigségur, Eric Quintin et Yohann Delattre. Nous leur avons remis un maillot à leur nom pour leurs exploits avec les jeunes. Guillaume Gille en reçu un aussi, car depuis le 1er septembre il a intégré définitivement la DTN. Tous ces hommes ont été sacrés champions du monde. Cela leur faisait drôle d’avoir un maillot sans avoir eu à transpirer. Mémé et la Mouche peuvent nous regarder d’en haut sans rougir : l’histoire continue…

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